Tribunal p�nal international pour le Rwanda: l'urgence de juger

SYNTHESE ET RECOMMANDATIONS
Bient�t sept ans apr�s sa cr�ation, imm�diatement apr�s le g�nocide rwandais et plus de quatre ans apr�s le d�but des premiers proc�s, le Tribunal p�nal international pour le Rwanda (TPIR) situ� � Arusha, Tanzanie, n�a jug�, � ce jour, que neuf individus. Quarante-cinq interpellations ont eu lieu pour soixante-cinq mises en accusation. Aucun des grands planificateurs pr�sum�s du g�nocide n�a �t� jug�, y compris le colonel Th�oneste Bagosora, en prison depuis 5 ans. La plupart des vrais cerveaux du g�nocide, qu'ils soient officiellement recherch�s par le TPIR ou non faute de preuve, circulent librement entre diff�rents pays, dont la RDC, le Gabon, le Kenya, mais aussi la France et la Belgique.
Avec un effectif de plus de 800 employ�s, trois chambres de premi�re instance occupant neuf juges et un budget d�environ 90 millions de dollars am�ricains, le bilan du TPIR est lamentable. Entre juillet 1999 et octobre 2000, la seule activit� judiciaire au fond s�est r�duite au proc�s d�un seul accus�, Ignace Bagilishema, ancien maire de la commune de Mabanza, au Rwanda, dont le verdict devrait �tre rendu le 7 juin. Cinq juges sur neuf ont alors pass� plus d�un an et demi sans proc�s au fond, l�un d�entre eux r�ussissant en mars dernier � atteindre le record de vingt huit mois sans proc�s.
A l�actif du TPIR, il faut compter la reconnaissance incontestable du g�nocide rwandais et la neutralisation politique internationale de l�agenda �radicateur des Tutsi du � Hutu Power �. Cependant, sept ans plus tard, le travail du Tribunal n�a pas r�ussi � davantage faire la lumi�re sur le plan, le m�canisme, la chronologie, l�organisation et le financement du g�nocide, ni � en identifier les vrais auteurs. Par comparaison avec le Tribunal pour l�ex-Yougoslavie, le TPIR a souffert d�un d�sint�r�t international et d�un abandon m�diatique choquant. Cela est en partie du au fait que la comp�tence du TPIR est de juger exclusivement les crimes commis en 1994, � la diff�rence du TPIY dont la comp�tence est ind�finie dans le temps.
L�existence symbolique du tribunal n�a pas non plus d�courag� la persistance de protections dont b�n�ficie dans certaines capitales (Kinshasa, Brazzaville, Nairobi, entre autres) plus d�une douzaine de puissantes personnalit�s hutu rwandaises figurant parmi les principaux suspects du g�nocide. Enfin, il ne semble pas avoir eu d�effet dissuasif sur les acteurs du g�nocide de 1994 et de la guerre au Rwanda entre l�ancien gouvernement d�Habyarimana et le Front Patriotique Rwandais. Les perp�trateurs du g�nocide se sont r�arm�s en toute impunit� dans les camps de r�fugi�s de l'est du Congo, menant � la reprise de la guerre par le FPR en 1996 puis en 1998 sur le territoire de la RDC, o� des crimes de guerre et des crimes contre l�humanit� ont continu� d��tre commis par tous les acteurs.
Il n�est certainement pas de la responsabilit� des juges du TPIR d��crire l�histoire. Mais la faillite de leur t�che essentielle, rendre justice rapidement et �tablir la m�moire des faits, les emp�che de contribuer � remplir un des mandats qui leur a �t� donn� par le Conseil de s�curit� : la r�conciliation nationale entre les communaut�s hutu et tutsi. Il est vrai que la pertinence politique du mandat a �t� vite d�pass�e par la continuation et la r�gionalisation du conflit. Mais il reste que pour la majorit� des Rwandais, le TPIR est une institution co�teuse et inefficace, un m�canisme expiatoire de la communaut� internationale pour faire oublier ses responsabilit�s dans l�ex�cution du g�nocide et sa tol�rance des crimes du FPR. Le gouvernement rwandais se plaint du gaspillage d�argent et de moyens alors que 130 000 prisonniers surpeuplent les prisons du pays et que la justice rwandaise a jug� plus de 4000 accus�s; les survivants du g�nocide le trouvent lointain et indiff�rent � leur sort, tandis que les victimes des crimes du FPR d�noncent son instrumentalisation par le r�gime de Kigali et voient le TPIR comme le symbole d�une justice de vainqueur.
L'urgence du mandat du TPIR semble avoir �t� oubli�e dans les disfonctionnements quotidiens et les combats bureaucratiques internes. L'�clatement g�ographique du bureau du Procureur entre Arusha, Kigali et la Haye a s�rieusement ralenti les enqu�tes, et les absences prolong�es des juges ou des avocats de la d�fense ont entrav� la tenue des proc�s. En cons�quence, aujourd'hui il existe un vrai risque que les accus�s en d�tention soient rel�ch�s faute de proc�s apr�s plusieurs ann�es. Le TPIR doit donc se limiter � l�urgence d�achever son mandat. Le Conseil de s�curit� doit demander au parquet de publier sans tarder une strat�gie d'enqu�tes et fixer une date limite raisonnable aux poursuites contre les suspects rwandais et demander aux juges de publier un calendrier des proc�s. De jour en jour, la mission du TPIR devient de plus en plus historique et a de moins en moins de chances d'avoir un impact symbolique sur le pr�sent. Tol�rer une telle situation et la cautionner plus longtemps reviendrait � une deuxi�me trahison du peuple rwandais.
Mais surtout, � court terme, il est imp�ratif d��tablir des priorit�s entre les affaires pendantes et de juger ceux qui sont d�j� en d�tention. Trois des groupes cl�s sur lesquels les r�seaux extr�mistes hutu de l'ancien pouvoir rwandais se sont appuy�s sont l�arm�e, le gouvernement int�rimaire et les m�dias. Le proc�s des m�dias est en cours. Il est urgent de faire d�marrer celui des militaires, lesquels ont, comme le colonel Bagosora, pour la plupart d�j� pass� plusieurs ann�es en prison. Il s�agit d�un proc�s de la plus grande importance � tous �gards et notamment quant � la preuve du plan et du m�canisme du g�nocide. Il faut aussi que les proc�s des anciens ministres du gouvernement interimaire commencent le plus t�t possible.
D�s les grands proc�s du g�nocide termin�s, le TPIR devra entreprendre sans tarder les proc�s sur les crimes commis en 1994 par le FPR. Malgr� l'annonce publique du d�but des poursuites et la d�claration de collaboration du gouvernement rwandais, il faut s'attendre � ce que l'enqu�te ait des limites s�rieuses. On peut difficilement attendre d'un pouvoir en exercice qu'il l�ve l'immunit� de facto de ses militaires, alors que ceux ci continuent la guerre en RDC. Il est n�anmoins capital de mettre en demeure le r�gime de Kigali de livrer les criminels � la justice internationale et ainsi d'envoyer des signaux politiques forts en faisant comprendre qu'aucun crime, ni du pass� ni du pr�sent ne restera impuni.
Si la communaut� internationale veut s�rieusement rendre justice et lutter contre l�impunit�, elle doit urgemment r�former le fonctionnement du TPIR. La s�lection des juges doit �tre revue pour ne retenir que des juges ayant une r�elle exp�rience professionnelle en mati�re p�nale. Ils doivent �tre rendus comptables de leur activit� et de leur performance. L�ind�pendance du bureau du procureur doit �tre renforc�e et les �l�ments incomp�tents du greffe et du parquet limog�s. Parall�lement, la collaboration internationale entre les Etats et le TPIR doit �tre renforc�e pour l�arrestation et le transfert urgents des fugitifs.
Les juridictions nationales devraient utiliser ou �tendre leur comp�tence universelle pour juger les criminels rwandais encore en fuite, afin d�acc�l�rer le cours universel de la justice p�nale internationale. L'exemple des quatre proc�s tenus en Belgique d'avril � juin 2001 sous une loi de 1993 donnant � la justice belge une comp�tence universelle, est � promouvoir et encourager. Dans l��tat actuel de son fonctionnement et devant l�ampleur de la t�che, il est illusoire de concevoir un �largissement imm�diat du mandat du TPIR aux crimes commis en RDC en 1996-1997 ou au Burundi comme certains le proposent. Les juridictions nationales peuvent aussi juger les crimes commis au Burundi depuis 1993 et au Congo depuis 1995, avant que la Cour permanente internationale ne soit �tablie et ne puisse prendre le relais. On pourrait �galement envisager la cr�ation de cours sp�ciales de comp�tence mixte, � l'example de celles propos�es pour la Sierra L�one ou le Cambodge. La question de l'�largissement du Tribunal pourrait �tre reconsid�r�e � l'avenir, si le Tribunal parvient � rapidement achever son mandat.
Enfin, la justice internationale doit rendre sa place aux victimes. Il faut transf�rer certains proc�s � Kigali et � d�faut certaines audiences, pour accro�tre l�impact sur la population rwandaise. Le r�glement de la question de l�indemnisation des victimes par la cr�ation d'un fonds international est �galement urgent.
RECOMMANDATIONS
Au Conseil de s�curite et au S�cretariat de l�Organisation des Nations Unies
1. Demander au Procureur de pr�senter un �ch�ancier pour la fin des enqu�tes en s'assurant que l'arrestation des planificateurs du g�nocide est une priorit�. Demander aux juges de pr�senter un calendrier judiciaire �tablissant des priorit�s, et d'entamer sans tarder les proc�s des membres du gouvernement int�rimaire, des anciens officiers sup�rieurs de l�arm�e et des responsables politiques locaux d�j� en d�tention. S�assurer que la politique criminelle du Tribunal est conforme aux objectifs proclam�s et que des moyens efficaces d�enqu�te sont mis en oeuvre.
2. Passer une r�solution obligeant tous les Etats qui tol�rent l�existence des 17 fugitifs sur leur territoire de mettre tout en oeuvre pour arr�ter et transf�rer ces personnes � Arusha, sous peine de sanctions. Le nom de ces Etats doit �tre cit� dans la r�solution.
3. Pr�senter des rapports semestriels sur l'activit� du TPIR et des juges.
4. Doter simultan�ment le bureau du procureur d�une autonomie d�action et d�une autonomie financi�re pour la conduite des enqu�tes et l��mission de mandats internationaux.
5. Cr�er une commission charg�e d��tudier la question de l�indemnisation des victimes du g�nocide en tenant compte des initiatives d�j� prises en la mati�re par le greffe du tribunal et le gouvernement rwandais. Ce dossier complexe doit �tre retir� des seules mains du Tribunal. Cette commission pourrait envisager la cr�ation d'un Fonds international, pr�sid� par un Conseil d'�minentes personnalit�s.
Aux Etats membres de l�ONU
Sur la recherche et l�arrestation des fugitifs
6. Faire de l�arrestation des suspects une priorit� politique et financi�re pour les polices nationales. Renforcer leur assistance au TPIR dans la recherche et l�interpellation des suspects, et exercer une pression diplomatique sur ceux sur le territoire desquels ces suspects sont soup�onn�s d�avoir trouver refuge ou protection, comme le Kenya (cas Kabuga), le Congo-Brazzaville et la R�publique d�mocratique du Congo (cas Bizimungu, Ntiwiragabo, Mpiranya et Renzaho) et le Cameroun (cas Mpiranya).
Sur les transferts de suspects
7. Transf�rer les personnes accus�es par le tribunal dans les plus brefs d�lais et dans le respect du droit, � d�faut d�int�grer une proc�dure sp�ciale.
Sur la protection des t�moins
8. Renforcer les moyens de protection dont dispose le Tribunal en offrant � celui-ci l�assurance de disposer, lorsque cela est n�cessaire, de facilit�s pour r�installer dans un autre lieu g�ographique des t�moins ayant comparu devant lui ou, le cas �ch�ant, des informateurs du bureau du procureur.
Sur le jugement des pr�sum�s g�nocidaires
9. Encourager les Etats � adapter leur juridiction nationale pour, � l�instar de la Belgique, avoir une comp�tence universelle et juger les auteurs de g�nocide.
Sur l�ex�cution des peines
10. Encourager diplomatiquement les Etats africains � recevoir favorablement les demandes de coop�ration du TPIR en mati�re d�ex�cution des peines et soutenir financi�rement dans le cadre de programmes de coop�ration judiciaire ceux qui s�engagent � recevoir les condamn�s du TPIR.
Aux Etats bailleurs de fonds du Tribunal
11. Demander un audit public des comptes du Tribunal
Au gouvernements francais et belge
12. Ouvrir des enqu�tes sur les suspects se trouvant aujourd�hui en France et en Belgique, comme la famille du pr�sident Havyarimana, qu'ils soient officiellement sur la liste de suspects du Tribunal ou non, et acc�l�rer les proc�dures d�j� engag�es comme dans le cas du pr�tre Wenceslas Munyeshaka.
Au gouvernement des Etats unis
13. Cr�er une mission d�information aupr�s des services du bureau du procureur sur l�utilisation concr�te des fonds du programme de r�compenses � la d�lation des suspects du TPIR.
Au Procureur et la Pr�sidente du TPIR
Sur les arrestations
14. Clarifier et simplifier l'�mission de mandats d'arr�t et le cas �ch�ant, informer le Conseil de s�curit� de la non coop�ration de certains �tats s'il est d�montr� qu'ils h�bergent des suspects recherch�s par le Tribunal en toute connaissance de cause.
15. Pr�senter un �ch�ancier pour la fin des enqu�tes et un calendrier judiciaire pour les proc�s des personnes en d�tention.
16. R�soudre de toute urgence les probl�mes observ�s entre le bureau du greffier et celui du procureur adjoint dans l'allocation des fonds, en dotant notamment le bureau du procureur d�une autonomie financi�re.
Sur la coop�ration judiciaire avec le Rwanda
17. Renforcer ses initiatives en mati�re de coop�ration judiciaire avec les juridictions nationales rwandaises. Les missions de jeunes juristes ou de repr�sentants des milieux judiciaires rwandais � Arusha doivent �tre d�velopp�es. L��change d�information entre les deux processus judiciaires en cours doit �tre favoris�.
Sur le Outreach Program
18. Solliciter des fonds suppl�mentaires et renforcer les projets entam�s au cours de l�ann�e 2000 s�inscrivant dans le cadre du � outreach program � visant � am�liorer l�information sur les travaux du TPIR aupr�s des Rwandais.
Sur l�organisation de proc�s � Kigali
19. Organiser au plus vite certains proc�s du TPIR � Kigali pour augmenter l�impact sur la population rwandaise. Si le transfert des proc�s est trop co�teux ou incompatibles avec les droits de la d�fense, il est urgent de transf�rer au moins certaines audiences � Kigali.
Sur les retards et le fonctionnement du Tribunal
20. Mettre fin aux retards injustifiables qui ont caract�ris� l�activit� du Tribunal au cours des deux derni�res ann�es et remplir le mandat qui lui a �t� confi� avec c�l�rit� en obligeant toutes les chambres de premi�re instance a d�marrer les proc�s au fond et contraindre la chambre d�appel � acc�l�rer les proc�dures.
21. S�assurer du recrutement d�enqu�teurs et de juristes comp�tents et efficaces au bureau du Procureur.
Au Greffe et aux chambres
22. Examiner la possibilit� d'exiger que les avocats de la d�fense soient tenus d'�tablir leur r�sidence � Arusha d�s leur commission d'office, sauf � �tre excus�s par le pr�sident de la chambre.
Au gouvernement du Rwanda
23. Faciliter autant qu�il peut le travail du TPIR sur son sol et lui donner des garanties de coop�ration, notamment en ce qui concerne les crimes commis par des �l�ments du FPR en 1994, en suspendant imm�diatement les suspects de leurs fonctions, en les d�mobilisant et en les mettant en r�serve de la justice internationale.
24. Moderniser sa justice, notamment en termes d�ex�cution des peines, pour encourager les pays de la r�gion � extrader les suspects de g�nocide vers le Rwanda.
Nairobi/Arusha/Bruxelles, 7 juin 2001
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