Burundi : les enjeux du d�bat. Partis politiques, libert� de la presse et prisonniers politiques
Apr�s deux ans de n�gociations, le processus de paix burundais a atteint un point critique. Le m�diateur Nelson Mandela, lors de sa derni�re visite � Bujumbura du 12 au 14 juin, a renouvel� son soutien � l'exigence des rebelles selon laquelle le gouvernement de Pierre Buyoya doit lib�rer tous les prisonniers politiques, quels que soient leurs crimes, et restaurer la libert� d�action des partis politiques. En mars dernier, le m�diateur avait �galement exig� la restauration de la libert� de la presse et le d�membrement de tous les camps de regroupement. Un compromis a finalement �t� atteint sur ce seul point, le gouvernement du Burundi promettant de fermer tous les camps pour le 31 juillet 2000. Sur la question des prisonniers politiques, le gouvernement se d�fendit en avan�ant que la situation �tait plus complexe qu�il n�y paraissait au premier abord, et d�non�a la propagande de l��quipe de la facilitation tanzanienne et de certains partis hutu. Pierre Buyoya consid�re, - comme la majorit� de l�opinion publique tutsi - que les prisonniers sont des membres des bandes arm�es et des terroristes qui particip�rent aux massacres cons�cutifs � l�assassinat du Pr�sident Melchior Ndadaye en octobre 1993.
Au moment o� le processus de paix entre dans sa phase finale, les exigences de Nelson Mandela aupr�s du gouvernement burundais se justifient pour plusieurs raisons. Tout d�abord, Pierre Buyoya, qui revint au pouvoir suite � un putsch en juillet 1996, doit donner des signes de bonne volont� pour m�riter sa place dans la p�riode de transition qui suivra l�accord de paix. Deuxi�mement, tous les groupes rebelles doivent �tre amen�s � la table des n�gociations, et leurs requ�tes doivent donc �tre entendues. Il ne peut y avoir de n�gociations cr�dibles tant que les sympathisants des rebelles sont en prison avec pour seul chef d�accusation de repr�senter une menace pour la s�curit� de l�Etat. Troisi�mement, il ne peut y avoir de dialogue constructif avec des partis politiques dont les activit�s sont soumises � la r�pression des autorit�s. Enfin, la libert� de la presse est essentielle pour le succ�s du processus de paix et les chances de signature d�un accord resteront minces tant que la population ne sera pas totalement inform�e des progr�s des n�gociations d'Arusha.
Les exigences soulev�es par Nelson Mandela sur les prisonniers, les partis politiques et la presse devraient certainement �tre l�aboutissement de n�gociations plut�t des conditions pr�alables � leur poursuite. Cependant, il est indispensable que le gouvernement y r�ponde par un geste significatif de compromis, pour donner un t�moignage de bonne volont� � la population burundaise et provoquer un d�bat sur les changements attendus pendant la p�riode de transition. Ces exigences ont �t� formul�es pour renforcer le processus de paix � travers la participation des rebelles et de la population. Dans le d�bat qui s�en est suivi, les r�ticences du gouvernement � accepter tout compromis ne sont pas sans fondement. Il pr�vient notamment que le choix de Nelson Mandela de faire siennes les exigences des partis politiques hutu et des rebelles risque de provoquer une r�action violente de l�opinion publique tutsi. Il pense aussi qu�il est injuste de ne faire pression que sur une seule des parties au conflit. Cependant, ces r�criminations, pour justifi�es qu�elles soient, ne diminuent en rien la responsabilit� de ce dernier de montrer sa bonne volont� � ce moment pr�cis du processus de paix.
Les partis politiques : �puration, divisions, r�pression ?
Le FRODEBU, parti vainqueur des �lections de 1993, accuse le gouvernement de se comporter de mani�re autoritaire et de harceler ses opposants. A l�oppos�, le gouvernement accuse le FRODEBU d�organiser la d�sob�issance civile et de mobiliser la population hutu contre lui. Alors que cette polarisation refl�te la surench�re des deux parties � ce moment critique du processus de paix, deux paradoxes doivent �tre gard�s � l�esprit. Tout d�abord, si les partis oppos�s au r�gime actuel ont pu �merger pendant la p�riode de d�mocratisation conc�d�e par Pierre Buyoya lui-m�me au d�but des ann�es quatre-vingt-dix, � partir de 1994, ils sont devenus � la fois les promoteurs et les b�n�ficiaires de la guerre civile. La majorit� d�entre eux s�est appuy�e sur la violence pour obtenir des positions de pouvoir en 1994, lors de la signature de la Convention de gouvernement, et aucun d�entre eux ne peut �tre consid�r� comme a priori comme un d�fenseur de la d�mocratie ou des Droits de l�Homme.
Deuxi�mement, aucun de ces partis ne donne les signes d�une attitude nouvelle qui pourrait contribuer � la construction d�un avenir pacifique pour le pays. Au lieu de cela, le pr�sident et les partis passent leur temps en man�uvres et manipulations politiciennes et prennent des positions parfois radicales destin�es � maximiser le soutien de leur �lectorat naturel ou � se positionner pour la distribution des r�les dans les institutions de transition. Ces man�uvres ont conduit Pierre Buyoya � organiser l��puration du parti UPRONA de sa faction anti-Arusha, � r�primer ses opposants tutsi radicaux du PARENA, et � garantir, l�impunit� de la police, des forces de l�ordre et de l�administration dans leur harc�lement permanent des militants du FRODEBU. Ces ajustements constants ont aussi suscit� des divisions internes au sein des partis, des alliances et contre-alliances dont l�objectif politique n��tait parfois que de s�attaquer � la personne de Pierre Buyoya.
Quelle libert� pour quels m�dias ?
Le contr�le des m�dias est une obsession profond�ment ancr�e et partag�e par l�ensemble des hommes politiques burundais. Le gouvernement, ses alli�s et l�opposition sont tous responsables de la situation m�diatique actuelle, qui est toujours militante et parfois diffamatoire.
En raison du lourd contr�le d�Etat sur les m�dias publics et des r�ticences du gouvernement � voir donner trop de publicit� � son r�le dans les n�gociations d�Arusha, les m�dias ont �chou� � remplir leur devoir d�information. La suspension de la libert� de la presse en 1996 �tait devenue hautement n�cessaire car les m�dias des partis s��taient compromis depuis trois ans � susciter et encourager la violence � travers la diffusion de messages propageant la haine ethnique. Mais aujourd�hui, si le gouvernement maintient que les mesures coercitives sont toujours n�cessaires, il utilise surtout cette excuse pour contr�ler ce que la population peut apprendre au sujet des n�gociations d�Arusha.
D�sormais, un changement radical de politique d�information est n�cessaire pour pr�parer la population � un accord de paix et au retour des hommes politiques exil�s. Les ondes doivent devenir accessibles � toutes les parties au conflit, et doivent soutenir le processus de r�conciliation nationale et de reconstruction du pays � travers l��mergence d�un d�bat aussi large et profond que possible.
La question des prisonniers politiques.
Le d�bat sur la question des prisonniers politiques touche au c�ur du conflit burundais car c'est un d�bat sur la culpabilit�. Chaque camp a des points de vue totalement oppos�s sur les responsabilit�s de la violence frappant le pays depuis trente ans. Chaque camp accuse l�autre d��tre responsable d�un � g�nocide � : les Hutu citent les �v�nements de 1972, tandis que les Tutsi se r�f�rent � ceux de 1993. Et pourtant, pour que la paix ait un sens, il est indispensable que chacun se r�concilie avec le pass�. Aucune r�conciliation de long terme n�est possible sans un moyen efficace de d�signation des coupables, d�assignation des sentences, et de garantie � l�avenir d�un Etat de droit. Cette question, qui est aujourd�hui d�j� dangereusement politis�e, risque de faire s��crouler les chances d�aboutir � un accord de paix, si un compromis �quitable n�est pas trouv� tr�s bient�t.
Il n�y a en fait pas de prisonniers de conscience au Burundi dans le sens traditionnel du terme. Nombreux sont ceux aujourd�hui en prison coupables de crimes haineux. N�anmoins, d�autres prisonniers sont �galement d�tenus pour des raisons uniquement politiques. Pour beaucoup, la simple suspicion d��tre impliqu� dans les massacres de 1993 ou d��tre un sympathisant de la r�bellion arm�e fut suffisante pour une arrestation, et une d�tention pr�ventive de plusieurs ann�es. En mai 2000, plus de 6500 prisonniers �taient en d�tention, attendant leur proc�s.
Alors que le moment du compromis est venu, le gouvernement doit admettre cette d�sagr�able v�rit�. Il ne peut lib�rer tous les prisonniers politiques sans affaiblir les chances d��tablissement d�un Etat de droit au Burundi et s�ali�ner l�opinion publique tutsi, mais il peut et doit en lib�rer certains.
RECOMMANDATIONS
Au m�diateur Nelson Mandela
Sur la question des partis politiques
1. Exiger du gouvernement Burundais l�application imm�diate, stricte, impartiale et totale des mesures de l�Acte constitutionnel de transition de juin 1998 r�gissant les activit�s des partis politiques, notamment l�article soixante qui autorise les r�unions libres des partis aux niveaux communaux, provinciaux et national.
2. Disqualifier imm�diatement des n�gociations et barrer la participation aux institutions de transition de tout dirigeant de parti politique coupable d�s aujourd�hui de diffamation, d�incitation � la haine ethnique ou recourant � la violence verbale ou physique contre ses adversaires.
Sur les m�dias
3. Exiger du gouvernement l�acc�s imm�diat, �quitable et sans conditions de tous les partis politiques et des rebelles aux m�dias publics
4. Pr�voir dans l�accord de paix et le programme des institutions de transition, la mise en place d�une politique de communication vulgarisant largement le contenu de cet accord.
Sur la question des prisonniers politiques :
5. Reconna�tre la lib�ration de certains prisonniers, par exemple les sympathisants de la r�bellion n�ayant commis aucun crime de sang, comme un geste significatif de compromis du gouvernement. Et en retour :
6. Exiger des rebelles l�application d�un cessez-le-feu imm�diat suite � la lib�ration de ces prisonniers.
Au gouvernement du Burundi
Sur la question des partis politiques
7. Appliquer imm�diatement, de fa�on stricte, impartiale et totale les mesures de l�Acte constitutionnel de transition de juin 1998 r�gissant les activit�s des partis politiques, notamment l�article soixante qui autorise les r�unions libres des partis aux niveaux communaux, provinciaux et national.
Sur les m�dias
8. Donner un acc�s imm�diat, �quitable et sans conditions aux m�dias publics � tous les partis politiques et aux rebelles.
Sur la question des prisonniers politiques :
9. Lib�rer certains prisonniers, par exemple les sympathisants de la r�bellion n�ayant commis aucun crime de sang.
Aux bailleurs de fonds du Burundi
Sur la question des m�dias
10. Soutenir la formation professionnelle des journalistes burundais et la production de programmes radiodiffus�s vulgarisant les mesures de l�accord de paix et l�organisation des institutions de transition.
11. Soutenir, dans le cadre des accords de paix, la cr�ation de m�dias ind�pendants et non-partisans
Sur la question des prisonniers politiques
12. Soutenir l�instruction des dossiers de tous les prisonniers restants afin qu�ils soient jug�s avant le 31 d�cembre 2000 et am�liorer les conditions de vie des prisonniers.
13. Soutenir la r�habilitation et la r�insertion des prisonniers lib�r�s.
14. Mobiliser les moyens et les personnels n�cessaires pour que la Commission d�enqu�te judiciaire internationale et la Commission nationale v�rit� et r�conciliation commence son travail imm�diatement apr�s la signature d�un accord de paix.
Nairobi - Bruxelles, 12 juillet 2000
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